Accueil Culture Abdelaziz El Aroui, notre plus grand chroniqueur: Baba Aziz, le fabuliste

Abdelaziz El Aroui, notre plus grand chroniqueur: Baba Aziz, le fabuliste

Je clôture aujourd’hui ma série, réservée au vieux grand maître de la radio et du micro, Abdelaziz El Aroui. Après m’être arrêté, dans les deux premiers épisodes, de Baba Aziz sur le chroniqueur hors pair, je me propose de réserver mon troisième et dernier épisode à Baba Aziz, le conteur, s’étant inspiré du grand fabuliste français La Fontaine et du non moins grand écrivain iranien «Ibn El Moukafaâ, le célèbre auteur de «Kalila wa Dimna». Ce qui est rassurant, c’est qu’une pléiade de jeunes sont en train de rééditer les exploits de Abdelaziz El Aroui, mettre en valeur et pérenniser notre riche patrimoine exposé à l’effritement.

Dans ses passionnantes chroniques, Baba Aziz prêchait la bonne conduite, l’altruisme, la droiture, la crédibilité, l’honnêteté et aussi l’amour du prochain. Ceci dans un style dialectal parfaitement accessible à tous, enfants, jeunes, adultes, vieillards des deux sexes et toutes couches sociales confondues.

Des leçons à travers l’amusement

Il rapportait, de la belle manière qui lui était propre, les incidents conjugaux, éclatant par-ci par-là et allant jusqu’au divorce, à cause de l’achat du mouton de l’Aïd. Certains conjoints, sachant leurs limites budgétaires et ennemis jurés de l’endettement, pour acheter, à grands frais, ce quadrupède si sacralisé, entraient en conflit avec leurs douces moitiés, douces à moitié. Et ébruitaient anonymement leurs querelles orageuses à travers le micro magique du chroniqueur aux discours, on ne peut plus logiques. Il conseillait aux dames peu compréhensives, vivant alors en marge de la vie économique et ne connaissant pas la valeur du sou, de jeter du lest et laisser l’époux faire la politique de ses moyens, sans le soumettre à une pression insupportable, aux revers fâcheux sur l’équilibre et la sérénité familiaux. Sachant qu’à cette époque, le coût de la vie était reconnu si élevé qu’on avait songé à distribuer à tous les agents de l’Etat une indemnité supplémentaire baptisée «indemnité de cherté de vie».

Une vie sobre, bio et écolo

Oui, nos ancêtres n’avaient pas les moyens de se payer fréquemment des plats à la viande ou au poisson. Le joyeux festin gastronomique n’était permis qu’une ou deux fois par mois et toujours par un sacré vendredi. L’industrie du poulet ne leur ayant pas encore dit «bonjour!», les Tunisiens des années 50 et 60 se rabattaient, de temps à autre, sur les volailles de campagne, proposées par les paysans, lors des souks hebdomadaires. On prêtait alors les noms des villes et villages conformément aux jours de leurs souks. D’où, par exemple, Souk El Khémis (actuel Bousalem), Souk El Arbaâ (Jendouba), Souk El Ahad, etc.

Les plats qui se relayaient au sein des foyers étaient la «ojja», la chakchouka, la «tbikha», le couscous «matboukh», les soupes de «richta», «hlalem», «nwacer», «borghol», «hsou», «lablabi», sans oublier les pâtes alimentaires dites «menteuses» (sans viande). Tous ces plats étaient souvent parfumés par des morceaux de «kaddid». Sachant qu’à l’époque, le «kaddid» était douze mois  sur douze omniprésent dans les foyers. C’était l’unique moyen de conserver la viande de l’Aïd El Kébir, en l’absence de congélateurs et de réfrigérateurs. Ceux-ci étant souvent suppléés par les puits où, en été, l’on rafraîchissait le melon, la pastèque et divers autres fruits de la saison.

Quant  à l’eau plate, elle était gardée dans de belles gargoulettes en argile. Tout était donc bio. C’est pour cela qu’on n’entendait jamais parler de cancer, d’hépatite virale, etc. Et aussi d’Alzheïmer, de Parkinson et autres maladies en rapport avec la démence et dues à un quotidien infernal et stressant. Sans oublier aussi que le caractère sain et écolo de l’environnement était pour beaucoup dans la bonne santé physique et mentale des citoyens et des ruraux confondus. Parmi lesquels l’on comptait par milliers les centenaires…

Ah ! Excusez-moi cette longue divagation. Croyez-moi, lorsque ma plume se met à «zoomer» sur le bon vieux temps, je n’arrive plus à la maîtriser. J’en deviens spontanément esclave, tout heureux, tout joyeux comme un oiseau dans les cieux…

J’en reviens donc tout de suite à Baba Aziz et à ses contes dont je n’ai pas encore dit mot. Ces contes sont tels les fables de La Fontaine. Celui-ci s’exprimant aussi bien en vers qu’en prose et faisait parler diverses espèces des animaux de la forêt, incarnant des types d’humains avec les qualités et les défauts de chacun, les puissants, les cruels, les faibles, les avares, etc.

Sur les traces de La Fontaine et Ibn El Moukaffaâ…

Baba Aziz, en sadikien bilingue bien imprégné des littératures française et arabe, s’en inspirait cherchant à redonner vie à l’art ancien des conteurs de fées, de fdaouis appelés en Egypte «Hikawatis».

Les grand-mères prenaient la relève

En plus de La Fontaine, Baba Aziz s’inspirait des récits de l’Iranien Ibn El Moukaffaâ. Qui, lui aussi, avait tant fait parler les animaux sauvages, surtout dans son célèbre livre intitulé «Kalila Wa Dimna», traduit dans diverses langues…

Parmi les contes de ce genre, je cite celui de «Jraina» (petite grenouille) et El Asfour (l’oiseau).

Dans ce conte, il prêchait la bonne foi, la patience toujours bien récompensées…

Du récit… à la comédie

Les magnifiques récits d’El Aroui, riches en leçons à méditer, étaient repris par les grands-mères la nuit juste avant le sommeil de leurs petits-enfants.

Le premier metteur en scène ayant exploité d’une maîtresse façon le riche patrimoine de Baba Aziz, au lendemain du départ éternel de celui-ci, était Salem Sayadi.  Les contes d’El Aroui ont été convertis en pièces théâtrales, entrecoupées, de temps à autre, par des passages où le narrateur apparaissait sur le petit écran. A préciser que Baba Aziz avait eu à reprendre ses contes radio diffusés à travers la Télévision nationale en noir et blanc pendant quelque deux ans avant de nous dire adieu.

Bravo fistons !

Enfin, ce qui mérite d’être souligné et aussi salué, c’est qu’une pléiade de jeunes diplômés en matière d’animation culturelle ont eu à chercher à redorer le blason de l’art ancestral du conteur dit aussi «hikawati».

Parmi ces éléments, je me dois de citer le cas de Hichem Derouiche qui ne cesse de briller de mille feux depuis un certain temps, crevant l’écran sur Facebook et Youtube, toujours drapé de notre belle tenue traditionnelle.

S’étant fait un grand nom sur les réseaux sociaux récoltant un nombre de vues galopant et parfois record, le monsieur s’est fait inviter par plus d’une chaîne de télévision locale pour parler de sa judicieuse expérience et mettre en valeur l’art qu’il cherchait avec les siens à pérenniser et exporter.

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